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Kempter Prime du journal le XIXe siècle
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Photo(s) de Arnaud Saudax et texte de Arnaud Saudax. Dernière modification le 2017-12-29 par Michel Rochevalier.

Fabriqué ou assemblé en France de 1884 à 1884.
Rareté en France : Rare (dans les vide-greniers non spécialisés)
N° inventaire : 7175

Fiche technique complète

Chronologie des appareils Kempter 

Cet appareil de vulgarisation était proposé en prime par le Journal du XIXe siècle et a été annoncé le 4 avril 1884. Il est encore proposé pour les étrennes 1885, mais l'ébéniste Kempter ne figure plus dans les fournisseurs.

Les caractéristiques sont minimalistes, mais la construction est bonne, avec des assemblages en queue d'aronde. Il faisait partie d'un ensemble complet permettant de vraiment commencer la photographie, et cette initiative a été saluée à la Société Française de Photographie et par la revue "La Nature". Il faut dire que cela ne fait que quelques années que le procédé au gélatino-bromure permet de faire de la photographie sans être chimiste émérite.

La façade avant est sobre. Au centre, figurent la bague qui reçoit l'objectif( un simple ménisque achromatique identique aux objectifs pour paysage des daguerréotypistes d'antant) et au dessus, la plaquette d'identification. On sait ainsi que Kempter a fourni l'ébénisterie (et probablement le soufflet, son autre spécialité selon le Didot-Bottin.); l'objectif, lui, est gravé A. Laverne, (successeur de Gasc et Charconnet.)

La particularité de cette petite chambre est que la base est indépendante des corps avant et arrière et vient se fixer contre le dépoli par des petits crochets pour le transport. Cette base comporte une rainure où peut coulisser le corps arrière pour la mise au point, alors que le corps avant est fixé par des petits crochets. Le porte-dépoli peut être remplacé par des châssis doubles qui étaient fournis avec l'équipement.

Nul doute que l'intérêt de cet appareil réside plus dans son histoire que dans ses caractéristiques techniques. Voici donc comment il a été présenté dans le XIXe Siècle du 8 avril 1884

Tout le monde photographe !

Avez-vous jamais essayé de faire vous-même de la photographie ?

Il faut croire que ça n'était pas bien difficile, car j'ai vu dans ma vie pas mal de photographes amateurs qui avaient un joli talent, et qui ne s'étaient pas donné grand-peine pour l'acquérir. Ils avaient acheté une boîte, des produits chimiques, un traité de photographie, et après deux ou trois leçons ils étaient d'une force très raisonnable. C'est généralement à la campagne, en villégiature, qu'ils se livraient à cet exercice. Ils vous invitaient, sous le prétexte fallacieux de vous nourrir tout un dimanche, et le café n'était pas plutôt bu qu'à brûle-pourpoint, sans dire gare, ils vous demandaient :
— Voulez-vous que je vous fasse votre portrait ? Vous allez voir !
On était pris : il fallait bien poser.
Vous ne sortiez de chez lui que photographié de face, de trois quarts, de profil, de dos, assis, debout, le chapeau à la main, le chapeau sur la tête, avec un chien ou sans chien.
Eh bien ! ces portraits-là en valaient d'autres. Non, décidément, la photographie ne m'a jamais paru un art difficile.
Je l'avais toujours trouvé, en revanche, un art très malpropre. Car j'en ai tâté, moi aussi, de la photographie. Oh ! pas longtemps ! je m'en suis dégoûté vite. Je ne sais pas ce que vous pensez du collodion ; mais l'odeur m'en est insupportable. Toute la maison était empestée de cette abominable odeur.
Et sans collodion, pas de photographie !
Il y avait aussi ces diables de bains d'argent qui faisaient mon désespoir. Il y a peut-être des gens adroits qui trouvent moyen, en manipulant ces substances, de n'en jamais laisser tomber ni sur les mains, ni sur les vêtements, ni sur le parquet.
J'en étais perdu du haut en bas ; et vous n'ignorez pas que ces taches ci, rien ne les fait partir. Il faut, pour s'en débarrasser, recourir à un produit dont le nom seul fait dresser les cheveux sur la tête, c'est du cyanure de potassium, autant dire de l'acide prussique. Quand on s'est vu deux ou trois fois obligé-à ce lavage désagréable et dangereux, on en a assez.

Le jeu n'en valait pas la chandelle. Sans compter que le jeu ne menait pas bien loin.
- Les photographes de profession, grâce à des objectifs fort coûteux, à une grande habileté de main et au maniement délicat de substances fort chères, étaient arrivés à abréger considérablement le temps de pose.

Mais les photographes amateurs, qui n'avaient pas tous ces engins à leur disposition, en étaient réduits à exiger de leurs modèles un temps de pose qui nuisait au succès de l'épreuve. Ils ne pouvaient reproduire les objets en mouvement, ils étaient obligés même, pour fixer un paysage sur la plaque, d'attendre un jour calme, où le vent ne remuerait pas les feuilles et ne brouillerait pas l'image.
Ces raisons et beaucoup d'autres du même genre avaient empêché la photographie de devenir pour les gens du monde un passe-temps à la mode. J'avais vu nombre de personnes s'y essayer, toutes pleines d'un beau premier feu. Cette ardeur n'avait pas tardé à se calmer.

Il fallait, pour que la photographie entrât dans les mœurs courantes, pour qu'on en pût faire un jeu à l'usage, non pas seulement des hommes faits, mais des collégiens et surtout des jeunes filles, qui ont si peu d'amusements dans la vie provinciale, il fallait que l'on trouvât un procédé plus expéditif, plus sûr et surtout plus propre.
Il fallait que ce jeu fût réellement et de fait un jeu, un vrai jeu à la portée et à l'usage de toute personne capable d'un peu d'attention.
Eh bien, ce procédé a été trouvé ! Nous le devons à un savant belge dont il est juste de dire ici le nom, car, avec un désintéressement admirable, ce savant n'a voulu tirer de son invention aucun bénéfice. Il en a fait cadeau à son pays et à l'univers.
Ce bienfaiteur, ce créateur de la photographie à la portée de tout le monde, se nomme M. le docteur Monckoven.

Il n'y a guère plus d'un an et demi que ce procédé nouveau a été inventé, et déjà les effets de cette découverte nouvelle sont surprenants. On m'assure que dans nos lycées, et notamment au lycée Fontanes, un grand nombre de collégiens se sont pourvus des nouveaux engins et se donnent le charmant plaisir de faire de la photographie : une photographie rapide, propre, nette et amusante cette fois.

En quoi consiste ce procédé ?
Sachez d'abord son nom, qui ne vous indiquera pas grand-chose: c'est le procédé au gélatino-bromure d'argent.
On vend maintenant, par paquets de douze des plaques préparées d'avance, d'une sensibilité extraordinaire. Ces plaques, on peut les fourrer dans sa malle en voyage, dans sa poche en promenade; elles durent trois ou quatre ans, sans que leurs propriétés s'altèrent. On arrive devant un point de vue. On braque sa chambre noire munie de son objectif, on passe dedans (avec de certaines précautions qu'il faut connaître) une de ces plaques au gélatino-bromure.
Il ne reste plus qu'à ôter le couvercle, ce fameux couvercle qui s'enlève après le mot sacramentel : « Ne bougeons plus ! »
Et alors, ce n'est pas une minute, ni même un quart de minute qu'il faut pour que la plaque, frappée par le rayon lumineux, reproduise l'objet placé devant l’objectif, c'est un temps absolument inappréciable. On ôte le couvercle et on le remet d'un mouvement presque instantané. On n'aurait pas le temps de compter jusqu'à deux.

C'en est fait.
La plaque est marquée d'une empreinte indélébile. Un peut la laisser ensuite dans le petit châssis où elle est encadrée, à l'abri de la lumière; la refourrer dans sa poche, la jeter dans un tiroir, l'y oublier six semaines ou six mois. Il n'importe !

Quand on est rentré chez soi, on à tire loisir les épreuves, en suivant les règles nécessaires pour cette sorte d'opération, qui n'est plus qu'une affaire de temps et de soins.
Vous comprenez aisément les avantages de ce procédé merveilleux...

Ne parlons pas des voyageurs patentés, qui sont gens de science et doivent être pourvus des engins scientifiques les plus perfectionnés. Prenons tout simplement un de nos jeunes lycéens. Il va aux vacances de Pâques faire, avec une caravane scolaire, une excursion dans les Alpes.
Il se munit d'une provision de plaques au gélatino-bromure, il emporte un objectif avec les quelques menus appareils pour le dresser. Rien de plus maniable, rien qui soit moins embarrassant et moins lourd. Il arrive au haut d'un pic. Il braque son objectif, passe l'une après l'autre une demi-douzaine de plaques dans l'instrument. En cinq minutes, il a fixé pour jamais sur la plaque sensibilisée les divers aspects de ce panorama. Il rentre avec les Alpes dans sa poche.
Et quelle joie pour lui de prendre la photographie des monuments qu'il visite, des scènes où il assiste, de portraiturer ses camarades et, c'est le cas de le dire, de les portraiturer sans douleur.

Les applications de ce procédé vont à l'infini.
Il n'y avait à sa diffusion qu'un obstacle, c'était le prix du tout.
Ce prix est, à la vérité, peu de chose pour l'industriel, pour le savant, pour l'homme en un mot qui veut tirer de ce nouvel engin un parti quelconque. Mais ceux pour qui l'instrument ne doit être qu'un passe-temps et, si j'ose m'exprimer ainsi, un joujou; il est clair que c'est un joujou cher et que beaucoup de gens auraient reculé devant la dépense.
Nous avons voulu la réduire à son minimum pour les abonnés du XIXe Siècle, et les pourvoir d'un appareil complet de photographie pour un prix trois fois moindre que celui qui leur serait demandé dans le commerce. Ce prix est de trente francs.

Comment nous y sommes nous pris ?
Mon Dieu ! c'est bien simple ! Il fallait avoir l'idée première, mais, une fois l'idée trouvée, le procédé est des plus connus.

Nous sommes allés chez chacun des industriels qui concourent à la fabrication de l'engin premier qu'est l'objectif, et des appareils et des plaques qui doivent l'accompagner. Nous leur avons dit :
— C'est votre intérêt de répandre le goût de la photographie. Livrez-nous, chacun pour votre part, l'objet de votre fabrique au prix coûtant. Nous le repasserons à nos abonnés, en leur donnant votre nom et votre adresse. Vous n'aurez aucun bénéfice matériel à cette opération première, cela est vrai. Vous y gagnerez tout au moins de faire du bruit autour de vos noms, de pénétrer dans des couches plus profondes et plus nombreuses de nouveaux acheteurs.
Le raisonnement était si lumineux, qu'il a tout de suite frappé l'esprit de ces messieurs.

C'est Pierre Petit qui a été l'âme de cette organisation. Il a bien voulu écrire pour nous une petite notice très claire, très nette, très détaillée, où chacune des opérations par où doit passer, avec le nouveau procédé, une photographie avant d'être bonne à mettre dans l'album, est minutieusement expliquée. On verra qu'aucune de ces opérations n'est dangereuse, et que l'on peut sans crainte laisser toutes les substances aux mains des jeunes gens, à moins pourtant qu'ils n'aient la rage de les avaler. Ce petit traité se vendra dans nos bureaux au prix de 25 centimes.

Nous nous sommes ensuite adressés à M. Kempfer, qui est un des meilleurs ébénistes de Paris et des plus accommodants. Il a, rue Ménilmontant, dans de vastes ateliers, plus de trente établis occupés seulement aux appareils qui intéressent la photographie. C'est certainement la maison la plus importante de Paris dans sa spécialité.
Le fabricant d'objectifs est M. Laverne, qui a pris, en qualité de successeur, la maison Gasc et Charconnet. Il fabrique des lentilles de toutes sortes, qui sont égales à toutes celles que fournissent l'Allemagne et l'Angleterre, et qui coûtent moins cher.
Le croiriez-vous? cette maison expédie chaque année des milliers d'objectifs aux États-Unis, d'où ils nous reviennent avec une estampille américaine; ils n'en sont pas meilleurs, mais ils ont augmenté de prix.
Nous sommes un drôle de peuple !
C'est encore chez lui qu'on trouve de superbes appareils de projection dont les moindres sont, sous forme de jouets, de véritables instruments scientifiques.
Les produits chimiques nous seront fournis par M. Billault, dont le nom est bien connu dans le commerce parisien.
M. Billault est le successeur de M. Billaudot et de cette ancienne maison Fontaine où l'on se rappelle qu'eut lieu, il y a quelques années, une explosion épouvantable. C'est certainement la fabrique la plus sérieuse de Paris, elle est célèbre pour la parfaite pureté de ses produits chimiques.
C'est à M. Grieshaber que nous avons demandé nos plaques au gélatino-bromure. M. Grieshaber a eu, dans son genre de commerce, une idée dont on ne saurait trop le louer. Comme la marchandise n'était pas encore de fabrication courante, les industriels, qui en avaient le privilège momentané, la tenaient à un prix fort élevé. Il l'a d'un seul coup baissée de cinquante pour cent, à leur grand scandale. C'était une révolution. Elle a été tout entière au profit du public. Car les plaques de M. Grieshaber, préparées selon la formule du chimiste Comte, par MM. Graffe et Jougla, tout en coûtant moitié moins cher que les autres, sont tout aussi bonnes et peut-être d'une sensibilité plus rapide et plus délicate.
Est-ce tout ?
Non, il faut encore citer le nom des marchands de papier, MM. Dodille et Cie, qui sont bien connus de tous les amateurs de photographie, parce qu'ils vendent à des prix extrêmement réduits des papiers qui peuvent se conserver très longtemps sans perdre aucune des qualités qui les rendent propres à la photographie.
En voilà assez pour celle fois, ce n'est pas que nous n'ayons été forcés de nous entendre encore avec d'autres industriels, car la photographie est un art des plus complexes.
Mais nous en avons dit suffisamment pour montrer au public dans quel monde de petits détails il faut entrer pour mener à bien une opération de cette sorte.
Celle-là est heureusement terminée, nos abonnés en recueilleront le profit.
Car il n'y a guère de jouet plus utile et plus agréable à offrir soit à un jeune homme, soit à une jeune fille, qu'un de ces objectifs, muni de tous ses engins.
Pour moi, qui ai bien voulu prendre sur moi le soin de la présenter à notre public, je l'ai considérée par un autre côté plus noble, bien qu'il ne soit pas encore très désintéressé.

J'espère que l'appât de celte prime exceptionnelle nous attirera quelques abonnés qu'elle pourra séduire. Ce sera à nous de les retenir, en les convertissant à nos idées.

FRANCISQUE SARCEY.

L'histoire de cette prime nous est contée dans le numéro du 30 juillet 1884 :

LA PHOTOGRAPHIE À LA PORTÉE DE TOUS

C’était deux ou trois semaines avant les congés de Pâques. Mon ami Bauer, qui est le secrétaire de notre rédaction, et qui, de plus, est un grand photographe devant l’Éternel, un photographe amateur, bien entendu, nous apporta dans la salle où nous rédigeons en commun le journal un petit appareil photographique qu’il démonta devant nous, dont il nous expliqua l’agencement, prenant l’une après l’autre les parties qui le composaient. Il nous en fit admirer le nombre, la variété, le travail fini et délicat, et d’un air de triomphe :
— Savez-vous combien tout cela coûte ?
Personne de nous naturellement ne put dire un prix, nous n’étions pas au courant, mais il nous semblait à vue de pays qu’un engin si compliqué devait encore coûter assez cher.
— Eh bien ! nous dit Bauer, vous voudriez vous procurer un appareil comme celui-là chez n’importe quel marchand de Paris, vous ne l’auriez pas pour 60 francs.
— Cela est possible, répondîmes nous.
— Cela est certain, reprit-il.
Savez-vous ce que j'ai imaginé ? car c’est une idée à moi, cela. Je vais le donner en prime aux abonnés du journal au prix de trente francs.
Cet écart de chiffre ne laissa pas de nous étonner. Il jouissait de notre surprise.
— Vous vous demandez comment je m’y suis pris ? me dit-il. Oh ! mon Dieu. C’est bien simple ! Je suis allé chez chacun des industriels qui fabriquent une des pièces nécessaires à la confection d’un appareil photographique, et je leur ai dit : « Vous n’avez qu'une clientèle absolument restreinte, car vous ne vous adressez qu’aux photographes de profession et le nombre, après tout, en est relativement peu considérable. Vous gagneriez évidemment beaucoup plus d’argent si vous pouviez, en augmentant le nombre de vos débouchés, étendre le cercle de vos affaires.
Que faudrait-il pour cela ? Répandre le goût de la photographie parmi les gens du monde et surtout parmi les jeunes lycéens, et même parmi les jeunes filles, pour qui la photographie serait la plus charmante des récréations. Ces industriels convinrent, en effet, que c’était là le but à viser.
Mais comment y atteindre ?
« Je vous en offre le moyen. Le XIX Siècle a précisément pour lecteurs des fils de bonne bourgeoisie et généralement de médiocre fortune. Ils sont instruits, s’ils ne sont pas riches, et ils ont un certain goût d’art.
Arrangez-vous pour me donner au prix coûtant un appareil photographique complet, d’un maniement facile, nous le proposerons en prime à nos abonnés, nous donnerons vos noms dans le journal, et ce sera un premier avantage, celui de la publicité, mais vous en aurez un autre qui, à mon sens, est bien plus considérable : c’est que parmi les personnes qui se seront pourvues de notre appareil photographique, dix sur cent au moins prendront le goût de la photographie et sentiront le besoin d’appareils plus larges et plus perfectionnés.

Ce sera là votre bénéfice.
Vous ne gagnerez rien sur nous, nous tenons à ne rien gagner sur nos abonnés. Mais si nous, nous y trouvons ce bénéfice de nous attacher mieux notre clientèle de lecteurs et peut-être de l’étendre, vous, sans aucun doute, vous tirerez parti de ce sacrifice consenti une première fois par vous : vous semez aujourd’hui pour récolter plus tard ! »

— Et vous les avez persuadés ? demandai-je.
— Il n'y a pas grand mal à persuader les gens quand on les prend par l’intérêt.
Ce fut moi qui fus chargé d’annoncer cette prime au journal. Peut-être vous rappelez-vous l'article.
Cinq ou six jours après, je vis Bauer, la figure renversée et l'air penaud.
— Ah ! bien, me dit-il, nous sommes dans un joli embarras ! En général, quand on propose une prime aux lecteurs d’un journal, on sait que sur tant d’abonnés il y a tant de demandes de primes. C’est un calcul fait depuis longtemps, et les vieux routiers du journalisme ne se trompent guère dans leurs prévisions.
— Eh bien ?
— Eh bien ! voici ce qui arrive : en trois jours, les demandes ont de beaucoup dépassé mes prévisions , je n’avais qu’un certain nombre d’appareils fabriqués et tout prêts, il a fallu les expédier tout de suite, je n’en ai plus à ma disposition et les lettres affluent tous les matins.
Dans huit jours, ce sera une avalanche de réclamations. Je ne sais plus où donner de la tête.
— Il faut en commander d’autres.
— Si vous croyez que je ne l’ai pas fait !
Mais un appareil photographique se compose d’une douzaine de pièces dont chacune relève d’un fabricant particulier. Ce sera le diable pour obtenir qu’ils se hâtent, nous en aurons toujours quelqu’un en retard et celui-là arrêtera tous les autres.
Il avait été convenu que l’on ferait autour de cette prime une grande publicité, qu’on l'annoncerait tous les jours dans le journal et qu’on insérerait dans les autres journaux des notes portant cette bonne nouvelle à la connaissance du public.
Il fallut renoncer instantanément à tous ces beaux projets, on supprima toutes annonces dans le journal, on se garda bien d'en faire aucune dans les autres journaux.
On n’en eut pas moins beaucoup de tracas. Que de démarches ne fallut-il pas faire pour presser les industriels et les ouvriers ! Il n’y avait pas moyen de s’adresser à d’autres maisons, car, outre qu’on était obligé de se tenir à celles avec qui on avait traité, le nombre des ouvriers qui connaissent cette partie est peu considérable, même à Paris.
Nous finîmes par sortir de ces ennuis et Bauer poussa un joli ouf ! de soulagement quand le dernier appareil photographique eut été expédié du journal.

Les réclamations avaient plu au bureau de l'administration, mais ce qui nous frappa beaucoup, il n’y en eut pas une seule qui portât sur le choix de la prime et sur la déception qu’aurait pu causer aux souscripteurs l'arrivée de son appareil.
Personne, absolument personne (et c’est peut-être la première fois que pareille chose se présente en semblable circonstance), personne ne marqua de mécontentement.
J’eus le plaisir, au contraire, de recevoir quelques lettres qui m’étaient adressées personnellement, bien que je n’eusse fait dans l'affaire qu’office de clairon, et où l’on me remerciait du plaisir que j’avais causé en révélant les secrets de la photographie à de jeunes collégiens. Je garde une lettre fort spirituelle de remerciement à la suite de laquelle une dame m’envoyait des photographies qu’elle avait prises elle-même, en voyage, avec l’appareil du XIXe Siècle.
Ce succès, qui avait dépassé toute espérance, fut pour notre ami Bauer un trait de lumière. Il faut, se dit-il, lancer l’idée à nouveau, et cette fois en prenant par avance toutes ses précautions. Voilà les vacances qui arrivent. Il n’y aura pas de plus joli cadeau à faire à un collégien, à une jeune fille, pour la récompenser des prix obtenus par elle, qu’un de ces appareils photographiques, d’un prix si modeste, d’un maniement si commode et si propre, dont les résultats sont si rapides et si amusants.
Nous avons donc commandé et nous avons tout prêts un assez grand nombre d’appareils photographiques pour satisfaire du jour au lendemain à toutes les demandes qui pourront nous être adressées. Nous proposons donc de nouveau cette prime à nos abonnés et nous le faisons avec d’autant moins d’embarras que cette prime a reçu une consécration officielle à laquelle nous ne nous attendions guère :
M. Davanne a, dans la séance de juin 1884, présenté à la Société française de photographie, dont il est secrétaire, l’appareil du XIXe Siècle, et a lu la note suivante, dont je crois devoir donner copie.

"J’ai l'honneur de présenter à la Société, au nom de l'administration du journal le XIXe Siècle et de M. BAUER, secrétaire de la rédaction, un appareil photographique complet, dont l'ensemble a été combiné de manière à revenir à un prix tellement réduit qu’il peut être offert comme prime par ce journal.
    Cet ensemble comprend tous les instruments et produits pour faire les épreuves négatives et positives du format quart de plaque.
    Je me suis demandé tout d’abord si réellement, dans de semblables conditions, il était possible d’obtenir une épreuve à peu près satisfaisante, l’essai dont je vous apporte les résultats m’a prouvé que l’appareil fonctionne convenablement et qu’il a été organisé par une personne connaissant bien les diverses conditions de la photographie.
    La chambre noire se monte sur sa base, soit en hauteur, soit en largeur, elle est munie d’un objectif simple, auquel on pourrait demander un peu plus d'amplitude dans le champ, mais avec lequel j’ai fait dans l’atelier la reproduction d’un moulage en plâtre en deux secondes et à l’extérieur une vue en moins d’une seconde, les clichés sont nets et brillants.Cependant, lorsque l'éclairage est trop vif au-dehors, il se fait sur le bord interne de la monture un reflet qui nuit à la pureté de l’image et que l’on évitera en noircissant mieux cette partie de la monture. Si les lignes droites extrêmes commencent à se courber légèrement, nous savons que cela vient d'un défaut inhérent à tous les objectifs simples, et nous ne pouvons demander à celui-ci les qualités des instruments perfectionnés que nous achetons si cher.
    Le châssis est double, s’ouvrant à charnières en deux parties, pour recevoir une glace de chaque côté.Une moulure rentrant dans sa contrepartie est destinée à empêcher la pénétration de la lumière. Nous conseillons cependant aux opérateurs de tenir toujours leur châssis enveloppé et de faire la pose sous le voile noir, sans cela ils ont à craindre les coups de jour que nous évitons si difficilement, même avec les châssis les mieux confectionnés.
    L’ensemble comprend aussi deux cuvettes en porcelaine, un châssis positif, un verre gradué, un entonnoir, des filtres, des flacons, six glaces sensibles au gélatino-bromure d’argent, les substances nécessaires pour leur développement et fixage, du papier positif sensible, etc. Ces appareils et produits portent la marque de maisons connues. Nous croyons que le secret de ce grand bon marché, ne donnant aux fournisseurs aucun bénéfice sérieux, est dans la publicité que leur procure l’estampille laissée sur les objets par eux fournis.
    Ils comptent évidemment sur l'entraînement photographique qui résultera des essais mis ainsi à la portée de tous, et ils ont intérêt à bien fournir pour qu’on retourne à l’adresse donnée.
    Nous croyons que notre Société ne peut que remercier M. Bauer de cette heureuse combinaison, car déjà le nombre des appareils livrés dépasse un millier, et nous sommes certains que beaucoup de nouveaux adeptes seront séduits par les charmes de la photographie.
    Nous verrons ainsi s’accroître cette pléiade d’amateurs qui, se joignant aux praticiens les plus expérimentés dont ils peuvent recevoir les conseils, se groupent autour de notre Société, en augmentent l'influence et contribuent ainsi à assurer en France les progrès constants de la photographie."

Aucun témoignage de reconnaissance et d’estime ne pouvait être plus flatteur pour notre ami Bauer. Mais j’imagine que, moi aussi, j'aurai droit à quelque remerciement de la part des jeunes gens et des jeunes filles à qui j’aurai procuré, pendant les vacances, cette utile et charmante distraction. Si les pères se laissent persuader, j’y serai bien pour quelque chose et je compte un peu sur leur gratitude.

    FRANCISQUE SARCEY.

P. S. — On trouvera à la quatrième page du journal le détail des conditions à remplir.
Le premier millier d’appareils souscrits sera livré du 1e au 10 août.
F. S.

 

Kempter Prime du journal le XIXe siècle
La chambre en position Paysage.


Kempter Prime du journal le XIXe siècle
L'objectif, de type daguerrien, avec son diaphragme rondelle.
Kempter Prime du journal le XIXe siècle
Des châssis doubles prenaient la place du dépoli.


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